la ville doit être sale !
Je vous avais entretenus, lors d'un précédent billet, du problème des papiers gras estampillés "fast-food" qui déparent notre environnement.
Une aventure vécue par une collègue me fait réfléchir, et j'essaie de vous en faire profiter.
Ma collègue, en pause sur la terrasse, voit un jeune garçon (un ado en fait) qui jette un papier par terre. Elle va lui demander pourquoi est-ce qu'il fait çà.
Le gamin hausse les épaules, légèrement désabusé et dit : "On est en ville ici, que ce soit sale ou pas c'est la même chose. De toute manière il y a des gens pour nettoyer".
Au delà de l'attitude du jeune garçon, on peut se demander ce qui l'amène à penser ainsi. On va tout de suite éluder le "De toute manière il y a des gens pour nettoyer". Certains esprits feront valoir que jeter des papiers par terre donne du boulot à des équipes de balayeurs. Je pense que ces gens là seraient bien plus heureux de pouvoir s'occuper d'autres aspects de l'environnement urbain. Non ?
Pourquoi est ce que ce garçon raisonne ainsi ? Est-ce seulement parce qu'il y a des gens pour passer derrière ? Un autre jour, j'en questionnais un sur son comportement, en lui demandant : "mais chez toi, tu jettes les choses par terre ?" Il m'a répondu "Ben il y a ma mère pour nettoyer".
Mère qui, elle, a le désir d'avoir un environnement propre et rangé. Et ce gamin était bien content justement que sa mère fasse le boulot à sa place pour avoir cet environnement propre. Mais en ville ?
Ce qui est sous-jacent, c'est la non approprioation de la ville. "Ce n'est pas à moi, donc je peux le salir" voire "La ville, de toute manière, c'est moche".
L'expérience serait intéressante d'emmener ce gamin à la campagne et voir s'il fait de même. Si oui, (ce qui expliquerait le nombre de papiers gras sur les bords de route de France et de Navarre), alors il n'a aucun respect pour ce qui l'entoure. Est-il profondément individualiste ? Ou bien a t-il seulement un mal-être dans son environnement qu'il ne s'approprie pas ? Est-il seulement au courant des conséquences de son geste ?
C'est tout autre chose avec un adulte, qui est sensé avoir été "éduqué", mais combien en voit-on jeter par la fenêtre de leur voiture les papiers qui les "embêtent" dans leur voiture ? La voiture, espace privé, espace social, espace de frime même, doit être rangé,"clean". C'est le reflet de votre personnalité. Mais la nature, la ville...
Revenons sur ce même papier jeté par la fenêtre. Qu'est ce qui vous choque le plus ? Qu'il soit jeté dans la nature (bord de route en forêt par exemple) ou en ville ? C'est pourtant le même, mais je parierai que nombre d'entre vous stigmatiserons plus celui qui jette ses déchets dans la nature que celui qui fait de même dans la rue. Et pourtant, nous sommes bien plus d'être humains à être concernés par ce papier jeté en pleine rue ! A part un promeneur de temps en temps, celui qui est jeté dans la nature ne gênera personne.
On pourrait aussi se dire : mais ceux qui vont dans la nature la respectent en général ! Allez donc faire un tour dans les Alpes, au sommet du Mont-Blanc au hasard (voir la scène du film "Les Bronzés font du Ski") et vous verrez. Et pourtant, un emballage de barre chocolatée est bien moins lourd que la barre que vous vous êtes coltinée jusque là ! Mais comme de toute manière vous ne repasserez pas par là, ce n'est pas votre environnement proche que vous polluez !Après vous le Déluge !
Il n'y a donc guère de logique, puisque le jeune garçon de tout à l'heure polluait (bon, il a pas jeté un bidon d'acide par terre, on relativise !) son environnement "proche", puisqu'au delà du parking du restaurant, il a dit : "Vous savez, si vous venez dans le quartier, c'est pire". Et c'est là que c'est rageant. Pourquoi ? Parce qu'il est totalement désabusé, à 12 ans ! Son quartier, son cadre de vie, est dans un tel triste état au niveau des papiers qui traînent, qu'il se dit qu'on ne peut rien y faire. "Un peu plus un peu moins" "Oui, mais les autres le font" "je suis pas le seul à le faire".
Et là, vous avez envie de dire : "Et si machin se jette de la fenêtre, tu le fais aussi ?" Et non, vous lui dites pas ça ! Parce que parler de suicide peut être choquant et puis ca ne servirait pas à grand chose pour ce gamin un peu perdu. Ce n'est pas durant les 5 minutes que vous discutez avec lui que vous pourrez changer son comportement.
Quand bien même vous lui avez fait la "morale" : "C'est pas bien de jeter", et qu'elle l'imprègne comme de l'eau une éponge sèche, il va retourner chez lui, aider sa maman a ranger, et même faire attention quand il est dans la rue. Mais tout de suite, son regard va accrocher des papiers partout, des mégots, des chewing-gum, des paquets de tout et de rien... Et il va se dire "A quoi bon ?".
Est-ce que, seulement, a t-on une fois expliqué à ce gamin qu'il valait mieux garder dans sa poche son petit papier jusqu'à la prochaine poubelle ? J'en vois qui ricanent. Oui, les poubelles sont parfois éloignées. Oui, elles sont parfois l'objet de jeux idiots et carbonatoires. Mais qu'en est-il des fréquences de nettoyage des quartiers dits sensibles ? Le désordre visuel n'amène t-il pas un sentiment d'abandon, en une boucle de rétroaction positive (en fait négative, puisque tout va en s'aggravant mutuellement). Bien sûr, le nettoyage (au Kärcher !) ne fait pas tout, mais il rendrait peut-être un peu de dignité aux quartiers.