La Tragédie des Biens Communs

Sous ce vocable abscons, se cache une triste réalité, un concept introduit en économie et en sciences de l’environnement par Garret Hardin dans un article paru dans Nature (excusez du peu) en 1968.

 Nous ne sommes pas là pour philosopher ou pour se masturber la cervelle, comme disent certains. Je vais essayer donc de ne point être trop fumeux. Que dit cette théorie ?

En clair : la préservation de ce qui appartient à tout le monde ne suscite guère d’intérêt de la part de chacun. Votre voiture, vous y tenez comme à la prunelle de vos yeux.  Ça se trouve, vous la lavez tous les samedis1, vous l’emmenez chez le garagiste comme votre enfant chez le docteur. Vous hurlez dès qu’il y a une petite éraflure sur la carrosserie. Bref,  vous en prenez soin, car au delà de l’affection qu’on pourrait avoir, cette machine a pour vous une valeur patrimoniale : on pense inconsciemment à la revendre un jour ou l’autre. Dans ce cas,  mieux vaut qu’elle soit nickel pour en tirer le plus possible pour acheter une nouvelle voiture encore plus jolie et ainsi de suite.

Par contre, si maintenant vous deviez partager votre voiture avec d’autres personnes, vous seriez beaucoup moins stressé par cet éclat de peinture sur l’aile avant gauche…

L’exemple retenu par les théoriciens est celui ci : prenez le cas d’une pâture commune à tous les éleveurs d’un village. Chacun aura pour intérêt de faire grandir son troupeau dont il tirera un plus fort revenu. Oui, mais au bout du compte, si tout le monde fait pareil, il y aura trop de moutons et il ne restera plus de la pâture qu’un champ de boue où plus rien ne poussera.

C’est ce qui se passe aujourd’hui dans les océans : on va pêcher les espèces menacées de plus en plus loin, comme il y en a de moins en moins. Etablir des quotas ? Surtout pas puisque sinon les autres ne vont pas les respecter : autant pêcher le plus possible pour s’assurer un revenu. Et dans dix ans, il ne restera plus rien. La pensée du marin pêcheur est tout à fait légitime : il doit vivre et faire vivre sa famille. Il faut alors que tout le monde joue le jeu. Pas facile hein ?

L’autre jour, j’entendais une interview sur France-Info de Yann-Arthus Bertrand. Je ne présente pas le personnage, tout le monde sait que c’est un militant de la cause environnementale. Il racontait qu’un jour, invité par une personnalité dans un grand restaurant, il vit qu’il y avait du thon rouge à la carte. Or, chacun sait désormais avec tout le battage qu’on fait sur cette espèce qu’elle est menacée d’extinction à brève échéance. Il demanda donc à voir le patron. Celui-ci lui dit un truc du style :  « Il n’y en a plus beaucoup, c’est pour ça qu’il faut en profiter maintenant ». Et l’homme à l’appareil photo magique lui lança un « pauvre con » bien senti et il quitta le restaurant23

Bon quel rapport avec notre histoire ? Dans nos exemples, le pré et l’océan sont gratuits : on ne doit pas payer pour les utiliser. Qu’on y pêche une ou deux tonnes de poisson, on paiera le même carburant, le même nombre d’heures de main d’œuvre… Dans mon activité c’est pareil : si c’est gratuit, alors on en veut plus. Plus de sauces, plus de serviettes, et des pailles…

Et ce qui est super par dessus tout, c’est le dédain affiché par certains clients pour ces produits. Preuve en est : on nous demande des « mouchoirs ».

« Ah, non, Monsieur, je n’ai pas de mouchoirs »

« Mais si là, c’est quoi ? »

« Ah ? Ca ? Des serviettes en papier. Vous savez, les serviettes c’est pour la bouche, les mouchoirs pour le nez… »

 

 Nous avons pour consigne de limiter la consommation de ces produits qui sont tout sauf gratuits. Ben oui, la dosette de ketchup, il faut la fabriquer, l’acheminer… et c’est fou toutes celles que l’on retrouve en salle sur les plateaux, encore fermées ! L’entreprise voit avec raison le coût économique, moi je regarde plutôt le coût écologique.

Et c’est souvent le même dialogue que nous subissons dans la situation suivante : le client au volant de sa voiture arrive au dernier guichet du service au volant pour récupérer sa commande. Il n’y a souvent pas de formule de politesse, rappelons le :

" Il y a les ketchupmayo ?"


Et là, le gusse est si sûr de lui, sûr de son bon droit de consommateur à qui on doit donner tout ce qui est « gratuit », il est fier comme Artaban, que c’en est à la fois risible et misérable. Pathétique, même.

 

« Non, monsieur, c’est à la demande, vous savez, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique ! Je vous donne du ketchup, ou de la mayonnaise ? »

C’est ainsi que,  90% des fois, on entend « ben, les deux ». La remarque est  assortie d’une grimace agacée. Quant aux 10 % restant, ils  précisent ce qu’ils veulent.  Et ça représente autant de dosettes économisées.

Et quand on va en salle, je vous pose la question : le savez-vous ? Il y a bien un quart des plateaux où il y a juste le ketchup OU la mayonnaise qui ont été utilisés. Le reste ? Dans l’incinérateur de la communauté urbaine. Vous savez combien pèse une dosette ? Entre 5 et 7 grammes4. Mais on s’en fiche, c’est « gratuit ».




1 Prêchi-prêcha : à ce propos, n’oubliez pas qu’il est strictement interdit de laver sa voiture chez soi, à moins que vous n’ayez une installation de dépollution chez vous pour traiter les effluents.

2 La nature humaine est ainsi faite qu’on s’émeut plus du thon rouge ou du panda de Chine que de la disparition annoncée du Calobate de Sumatra, déjà cité et pourtant photogénique.

3 Yann-Arthus Bertrand interviewé par Philippe Vandel « Tout est son contraire », France-Info, 11/11/09

4 A multiplier par plusieurs centaines par semaine et par restaurant…


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