La faim justifie les moyens... ou "Ventre affamé n'a pas de cerveau"
Savez-vous que j'ai boycotté un client ? Oui, parfaitement, ce qui fait de moi un criminel en puissance. Pire que Damiens en 1757, puisque comme on le sait, le "Client est Roi". La bonne blague sur laquelle je reviendrais. Je sais, je le promets toujours, mais c'est pour se faire désirer.
Donc, pourquoi ce crime ? Crime qui d'ailleurs, en d'autres temps, m'aurait valu l'écartèlement (ci-dessus, Damiens devant ses juges après sa tentative de régicide contre Louis XV) Parce que, un beau jour, un employé est venu me voir en me racontant ce qui s'était passé la veille. Le manager, devant l'affluence record de cette fin de soirée, avait demandé à l'employé, à 1 heure (heure de fermeture), de fermer complètement le parking avec la chaine prévue à cet effet. Le dit employé avait ensuite la tâche de faire sortir les gens du parking mais bien entendu d'en bloquer l'accès.
Il revêtit alors son gilet réfléchissant et alla s'acquitter de sa tâche. Sauf que deux types ne l'entendirent pas de cette oreille et décidèrent de passer outre. Lorsque l'employé leur expliqua que 'était fermé, ils accélérèrent (ils avaient une puissante voiture allemande) écrasèrent la chaine (le moindre des maux) et passèrent à quelques centimètres à peine de l'employé, légitimement choqué.
Il n'eut pas le temps de prévenir le manager du soir de l'incident avant que les types en questions ne soient effectivement servis.
Le lendemain il me raconta l'évènement, que j'accueillis comme il se doit. Les bras ballants. "Que peut-on faire ?"
« Est-ce que tu reconnaitrais les types ? » que je lui demande.
« Oh, oui ! » qu'il me dit.
Ah, il y a un espoir.
Un jour donc, je vois des types chiants au drive, vers 23 heures. Je prends leur commande en remplaçant la caissière qui se faisant lourdement draguer et elle n'avait pas que ça à faire. Puis je vais assembler leur commande et je m'avise que j'ai cet employé dans l'équipe.
"Alphonse, vient ici stp !"
Alphonse s'amène. Je leur montre les types au drive. "C'est eux ? "
Il répond par l'affirmative.
"Ok, merci"
Puis je retourne à la caisse, sort l'argent de leur commande, au centime près, et je retourne les voir :
"Aaah, désolé (tu parles) messieurs, mais il y a un changement de programme"
Ils me regardent avec des yeux de merlan frit.
"Voici 8,4 €, le montant de votre commande. Je ne vous servirais pas ce soir'
Gueule d'un kilomètre de long.
"Oh ! Pourkoi ?"
"Tout simplement parce que l'autre jour, vous avez failli écraser un de mes subordonnés. Donc..."
"Ben, on avait faim !"
C'est le pompon ! Il ne nie même pas tellement ca lui semble normal. Ah oui, c'est bien connu, "la faim justifie les moyens", "ventre affamé n'a pas de cerveau".
Je les ai salués fort cordialement, très "grand siècle", ce qui achève de les mettre en colère.
Et ils sont partis. Le soir même, je prends la commande de gendarmes à qui je confesse mon crime : refus de vente. Ils me demandent pourquoi, je leur explique. Ils rigolent : "Ils ont mis en danger la vie d'une personne, c'est bien la plus petite sanction qu'ils puissent avoir ! Allez-y !"
Ragaillardis par l’absolution donnée par la puissance publique, investi de cette "sainte" tâche (j'exagère hein), je traquais les fâcheux. Quand je les interceptais au niveau de la prise de commande, je leur disais. "Ben non, pas ce soir'. Et quand c'"était eu dernier guichet, je leur remboursais leur commande. "Vous connaissez le tarif !". Ca durant deux mois. Bien sûr, quand on ne les interceptais pas, ils passaient inaperçus. Mais, pas con, j’allais pas leur dire : « vous voyez, quand il y a la C1 verte, là, c’est pas la peine de venir, c’est la mienne ».
Un jour, le passager s'est énervé.
"Vous n'irez pas au paradis !"
"Ah ? Et pourquoi donc ?" En clignant des yeux .
"Vous refusez de la nourriture à votre prochain."
Je suis parti d'un rire ! Mais un rire ! "Je ne fais que refuser un service à deux fâcheux ! Sur ce, bien le bonjour !"
Et là, le conducteur, sans doute lassé par tout ce tintouin, et parce que son estomac (à défaut d'autre chose) commandait à ses sens (l'instant d'avant, devant la caissière c'était une autre partie de son être, bref passons) me demande ce qu'il faut faire pour arrêter tout ca.
"Mais c'est tout simple, Monsieur. Vous comporter en être civilisé. Et première chose, vous voyez cette personne, là, derrière moi ? Et bien elle prendra au nom de toute l'équipe vos excuses pour votre comportement. Allez-y, et je passe l'éponge".
Ca lui en a couté, savez-vous, mais il l'a fait. Il a eu quelques rechutes par la suite, moins graves, mais on entendait plus souvent de sa part "bonsoir" et "merci"