Faites l'appoint ! A point, mais point trop non plus !
Dans le temps (punaise, j'ai vraiment l'impression d'évoquer une époque remplie de CX, de 4L, d'allocutions télévisées aux accents mitterandiens, avec François, pas encore Frédéric, de récré A2...), on avait droit aux "Debussy", "Quentin de la Tour", "Delacroix", "Montesquieu" et bien sûr, le"Pascal" de 500 FF. Puis on a eu droit au "Saint Ex" (50FF), le "Cézanne" (100 FF), l'"Eiffel" (200FF) et le "Curie" (500FF).
Puis l'Euro est arrivé, et avec cet événement sont partis les surnoms donnés depuis des temps immémoriaux à nos billets de banque. Est-ce que vous avez remarqué le graphisme de nos billets ? Il fallait choisir quelque chose d'assez consensuel, et les personnages historiques sont, par nature, trop connotés nationalement. Même pour les plus farouches "europhiles" d'entre eux. Ainsi, si on avait choisi Erasme pour honorer le billet de 500 Euros, on aurait lésé les Français qui auraient fait valoir Jean Monnet ! Etc etc.
On a donc choisi de représenter l'évolution architecturale européenne à travers les siècles, de l'Antiquité (5€) à l'époque actuelle (500 €), avec sur une face des portes et des fenêtres (pour symboliser l'ouverture) et sur l'autre des ponts (pour symboliser l'union entre les peuples). C'est très symbolique, en tout cas, mais le problème est alors de surnommer nos chers billets. Et je n'ai jamais entendu quelqu'un me demander un "gothique" (20 €), ou un "roman" (10€). Et pour le 500, on dit quoi ? Millau ?
Ah ! Que vous regrettez de ne pas avoir sous les yeux un beau billet de 500 pour vérifier la nature du pont qu'on nous propose pour l'illustrer. Rassurez vous, je suis dans le même cas que vous. Et je vais vous faire une fleur : allez voir par vous même. Et vous me direz que "non, c'est pas Millau". Mais je l'appelle comment alors ? "Le pont à haubans ?" ou bien "la baie vitrée" ? L'un est trop technique, et l'autre est trop "je dois faire mes vitres". Et dans les deux cas, c'est peu glamour. On va au rester aux couleurs alors. Au moins le "Bordeaux" a un coté épicurien qui va bien avec sa valeur faciale.
Mais au delà de toutes ces considérations assez folkloriques, interrogeons nous sur la valeur de ces billets. Le Pascal ou le Curie représentaient à peine la valeur du "100 euros" actuel. Que dire alors du Jaune et du Bordeaux ? ce dernier représente un mois de loyer pour un studio ou un 2 pièces selon le lieu où vous habitez. Imaginez donc que se balader avec ce bout de papier (un peu technique quand même) dans la poche équivaut à avoir un mois de loyer à sa disposition !
Imaginez ensuite que ce soit un faux. Le commerçant qui vient à l'accepter fait là une sacré perte ! Sans compter que rendre la monnaie sur un tel monstre est problématique... Bon, si vous achetez en grande surface pour 495 euros de marchandises, ce n'est pas ça qui pose problème. Mais quand vous venez acheter au fast-food un menu...
Croyez le ou non, mais il y en a qui viennent avec un tel billet. Ca fait tout de même une sacrée drôle impression quand un éclair bordeaux sort du portefeuille du type qui fait ce geste aussi nonchalamment que s'il se sortait une clope ou une pastille à la menthe. Autour, il y aune certaine électricité dans l'air. Pour le caissier qui le sert, c'est souvent l'équivalent de son salaire, s'il est à mi-temps. Ce qu'il voit quasiment virtuellement sur son compte en banque, il l'a physiquement alors sous les yeux. Et je ne parle pas alors de tous ceux qui arrivent en sortant toute une liasse de billets (et qui roulent en voiture haut de gamme, et n'ont souvent même pas 25 ans... Amis du fisc...) et qui se font un plaisir de se lécher les doigts tout en comptant lentement...
Evidemment, ces billets sont refusés. Pourquoi "évidemment" ? Pour deux raisons : la première est qu'on n'est jamais à l'abri d'un faux particulièrement bien imité, et que les machines ne sont pas fiables pour les détecter. Ensuite, tout bonnement, il n'y a pas assez de monnaie en caisse !
« Ah, je suis désolé, monsieur, je ne peux accepter votre billet ». (en disant cela je ne fais que répéter ce que le caissier a dit deux minutes et seize secondes plus tôt au même client )
Le client regarde alors autour de lui, l’air dédaigneux.
« Ben oui, nous sommes une PME indépendante (vrai) et je n’ai pas assez de monnaie dans mon coffre.
« Je ne vais pas vous faire un inventaire de mon coffre, monsieur », que je lui réponds, toujours calme et intérieurement rigolard.
« Alors, vous me le prenez ? » essaie encore l’autre.
Et alors là, je sors l’argument suprême : « Oui », fais-je en étirant les lèvres, goûtant l’instant solennel.
Bref instant de silence. Même la friteuse a arrêté de bipper… L’autre pense qu’il a gagné, le caissier retient son souffle, une serviette poussée par le vent dévale sur le parking, à l’extérieur le camion de pompiers sirènes hurlantes passe comme au ralenti, une goutte de sueur goutte sur mon nez. La caméra de Siergo Leone fait un gros plan sur le dit appendice, dans mon cas grevé de points noirs. Et je souris en tendant la main, accueillant comme il se doit son bifton.
« Par contre, comme le stipule la Loi, je ne vous rends pas la monnaie. »
Et c’est l’instant le plus comique. Ça paraît tellement absurde ! Un menu qui coute 6 euros cinquante voit son prix monter à 500 euros ! Pour une inflation, c’est une inflation ! L’Allemagne de 1923 n’a qu’à aller se rhabiller.
Calculez voir... faut prendre une calculette... 500 / 6.50 = 76.96...On va pas chipoter : on arondit à 77 fois le prix de départ !
Et là, la seconde de stupeur passée, l’autre se décompose et hurle :
« Quoi, mais c’est n’importe quoi ! »
Et toujours souriant, je lui montre en la tapotant du doigt la mention imprimée sur le mur, et je me paye le luxe d’un rappel historique : « Article L-112-5 du code monétaire et financier ». Issu d’une loi votée en juillet 1790. « Vous voyez, Monsieur, ça ne date pas d’hier ».
Les réactions suivantes dépendent du gars. Le plus furieux s’en va alors en s’épanchant en borborygmes. Le plus curieux demandera d’un ton vexé « qu’est ce que ça raconte , votre article ? ». Et là, tout simplement, avec un geste pour ponctuer chacun de mes mots : « C’est – au – cli-ent- de – fai-re- l’a-ppoint . Point ».
Et alors, il sort miraculeusement un billet de 10 euros….
L’autre fois, ma collègue s’inquiétait du fait que les voitures soient coincées à l’encaissement du service au volant. C’est alors le signe évident que quelque chose ne va pas : carte bancaire qui ne passe pas, ou pire, coincée dans le lecteur. Ou alors, il y a un client qui veut payer par chèque…
Donc quand ma collègue est allée voir, elle a trouvé la caissière en train de compter une à une des pièces de 1 et de 2 centimes ! Et vu le tas qui restait (dans un sachet plastique), elle en avait pour un certain temps.
Je suis arrivé sur ces entrefaites et, en voyant cela, j’ai demandé aux clients s’ils avaient un autre moyen de paiement. Devant leur réponse négative, j’ai annulé leur commande et je leur ai prié de se faire servir ailleurs. Non mais, s’ils ont tellement de monnaie, qu’ils aillent la déposer dans une banque !
Rappelons qu'un paiement en espèces ne peut excéder 50 pièces. Même avec la plus grosse des pièces "rouges", ca ne fait jamais que 2,5 € ! Vous n'irez pas loin avec...
Donc, prière de faire l’appoint, mais point trop n’en faut !
Note historique :
On estime qu’en janvier 1922 1 mark-or valait 46 marks papier. A la fin de l’année 1923, le même mark-or valait 1000 milliards de marks papier. A tel point que l’on tapissait les murs avec des billets devenus sans valeur et qu’il fallait des brouettes remplies de billets pour acheter son pain. Le 9 novembre, Hitler ratait son putsch à Munich. 10 ans plus tard, il parviendra au pouvoir par la voie des urnes. .